Mon père me racontait qu’étant enfant, de sa maison au bord de l’eau, il pouvait y lancer sa canne à pêche, comme tous les hommes de cette terre rouge et contempler l’immensité de l’espace qui le séparait de l’autre rive où ses yeux pouvaient se perdre dans le vert infini. Plus tard, lorsque la vie l’a emporté vers la grande ville de Lima, la part de la famille restée à Iquitos en Amazonie, continuait d’envoyer des colis merveilleux emplis de victuailles qui, dès qu’on les ouvrait, laissaient échapper les senteurs enivrants de la forêt, l’arôme de fruits inconnus à la côte, les poissons séchés de l’Amazone, portant les noms les plus extraordinaires comme “paiche” ou “carachama”.
Grâce à cette filiation imaginaire avec l’Amazonie qui vient de mon enfance, j’ai été longtemps persuadée que chaque arbre possédait un esprit, et la présence imaginaire de la forêt amazonienne a été nécessaire à mon existence. Aujourd’hui plongée dans ma vie citadine, j’avais quasiment oublié cette forêt de mon enfance.
J’ai été saisie par la notion d’“écobiographie” proposée par Jean-Philippe Pierron dans son livre Je est un nous. Cette partie de notre histoire que Pierron appelle “écobiographie” est une plongée vertigineuse dans la chair à vif de notre relation passée ou présente au vivant. Elle saisit de façon captivante cette part intime, faite de souffles, de parfums et de textures, de « toutes les capillarités secrètes…qui nous lient et nous relient aux autres, aux animaux, aux végétaux, aux paysages… ». Cette histoire, que chacun a sans doute éprouvé, peut nous permettre de plonger dans toutes les interdépendances qui nous relient au vivant, de nous émerveiller face aux habitants plus qu’humains qui vivent sur la terre.
J’ai eu envie de porter cette notion d’écobiographie à la scène pour saisir le chemin de cette cartographie intime qui nous relie au vivant. Cette notion écobiographique est poétique, puissante et nous envahit d’une profonde écoute envers d’autres existences.
J’ai l’intention de faire avec « Extra-sensibleS », un moment scénique sensoriel, visuel, olfactif, tactile et auditif. J’aimerais que cette forme théâtrale légère fasse irruption dans la salle de classe pour vivre une expérience immersive avec les élèves, afin d’expérimenter ensemble au contact de récits écobiographiques puissants, une autre manière de cohabiter avec le vivant. Avec un acteur-marionnettiste-danseur qui ira au-delà des mots, un créateur sonore/bruiteur inspiré et une scénographie peuplée d’objets insolites, nous plongerons dans le monde insoupçonné de l’infiniment petit jusqu’aux immenses paysages millénaires. J’aimerais mobiliser cette part intime de nous-mêmes, celle qui nous relie aux infinis mystères des vies qui nous entourent.
Valentina Arce